Charlemagne Palestine

Durée : 70 minutes
Année : 2012

Réalisation : Anne Maregiano
Images : Sébastien Buchman, Frédéric Ramade, Anne Maregiano, Cristian Manzutto Hope Hall
Son : Frédéric Fonteyne, Francois Waledisch, Isabelle de Mullenheim
Montage : Mathieu Augustin, Mélanie BrauxInfographie : Christophe Gauthier
Montage son : Eric Lesachet
Mixage : Amélie Canini
Etalonnage : Eric Salleron
Productions : Atopic Production, CNC, Sacem, Procirep, Angoa, Normandie TV, Petite Pousse Production
Edition DVD : Re-Voir

Charlemagne Palestine, The Golden Sound

SYNOPSIS

Il est 19h30 au Louvre le 6 mars 2001. Charlemagne Palestine descend les marches du grand auditorium avec sa valise en toile rouge. Il porte un grand chapeau Weston, plusieurs écharpes bariolées, un pantalon orange et des chaussures rouges. Il pose sa valise devant le majestueux piano Bösendorfer et en sort une grenouille, un petit singe, un ours, un perroquet… quelques peluches rescapées des poubelles de l’histoire.

Charlemagne débute son concert devant une salle pleine. Il ne faut pas plus de cinq minutes de Strumming Music pour qu’un spectateur se lève et crie au scandale. Le concert s’interrompt, Charlemagne lui suggère de quitter la salle. Après un échange musclé, l’homme à lunettes se rassoit. A la fin du concert, je revois la même personne félicitant Charlemagne de sa performance.

Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qu’il lui a fait changer d’avis : l’origine ukrainienne de l’artiste, son appartenance à l’avant-garde new-yorkaise au début des années 70 (Tony Conrad, La Monte Young, John Cale, Taylor Mead, Terry Riley…), son expérimentation électro-acoustique à Los Angeles (Morton Subotnick, Ingram Marshall), son art vidéo (Nam June Paik), ses accointances avec le cinéma expérimental (Stan Brakkage) ou son exil vers l’Europe.

Le film vient de commencer… » Sous la forme d’une confession intime et sur fond d’archives d’époque (vidéos, photos et musiques inédites), Charlemagne nous livre sa quête de « l’or sonore »

+ - Articles de presse

Article dans Close-Up film centre écrit par Michael Garrad publié le 18 mai 2013

http://www.closeupfilmcentre.com/library/documents/charlemagne-palestine-the-golden-sound/

Article dans le magazine Jeune Cinema écrit par Nicole Gabriel publié en octobre 2013

Charlemagne Palestine vu par Anne Maregiano

« La documentariste Anne Maregiano, auteur de Timor Lorosae, Long Journey to Freedom (1999) et de L’Asso (2001) a réalisé en 2011 un film de 80 minutes sur le compositeur américain Charlemagne Palestine, (The Golden Sound), produit par Pip Chodorov, éditeur et distributeur de films expérimentaux et de films d’art. Ce film, qui vient d’être présenté au festival de Perpignan, sera édité à l’automne en DVD.

Haut en couleurs, Charlemagne Palestine, dont le pseudonyme semble un gag (il s’appelle en réalité Charles Martin), né en 1945 (ou 1947) à New York, est un de ces créateurs singuliers dans la lignée des compositeurs d’avant-garde de la musique américaine du XXe siècle comme Edgar Varese (Français naturalisé américain), George Antheil (auteur de la bande sonore du Ballet mécanique de Fernand Léger), le Canadien Colin McPhee qui s’est intéressé à la world music et au cyclique balinais dès les années 30 ou encore John Cage. Quoi qu’il en dise, il se rattache au courant du minimalisme et de la musique répétitive qui va de LaMonte Young à Phil Glass en passant par Terry Riley et Steve Reich. « Je fais de la musique maximale avec le minimum de choses », déclare-il, avec son sens de la répartie et ce goût du paradoxe et de l’ostinato chers à Erik Satie, dont l’œuvre pour piano Vexations (1893) consiste en un motif censé être joué 840 fois de suite.

Les maximalistes ont eu un avatar avec un groupe fondé par Thierry De Mey en Belgique dans les années 1980. Et c’est à Bruxelles, où Charlemagne vit depuis une dizaine d’années, qu’Anne Maregiano est allée le filmer, dans sa cuisine et au milieu de ses animaux en peluche qui ne le quittent jamais, surtout pas quand il va jouer. Sans jamais l’interroger, sans chercher à le « cerner », la réalisatrice le laisse tout simplement se raconter en voix off. Elle le suit dans ses déambulations dans la ville, à son studio d’enregistrement, dans ses emplettes (une tête de bison naturalisé) et illustre ses propos par un riche matériau de photos et d’enregistrements vidéo. En de longues séquences, où la voix du « sujet » n’est jamais envahissante, elle évoque l’enfant d’émigrés juifs russes new-yorkais qui se met au chant pour se délivrer de son bégaiement, ses années de chorale religieuse (« dans toutes mes choses, il y a une aura de lamentation juive »), puis son apprentissage comme carillonneur après son admission dans un conservatoire de musique. Quasimodo en pays protestant, il attire l’attention du cinéaste underground Tony Conrad qui l’introduit dans la bohème new-yorkaise des années 70. Il y croise les expérimentateurs de tout poil, découvre les musiques indienne et tibétaine, le gamelan, des musiciens allumés tels que Sun Ra ou Captain Beefheart, et triomphe dans la performance, une forme de spectacle total réconciliant l’art et la vie, l’improvisation et le savoir, où l’œuvre se crée dans son expérimentation. Il y introduit un élément rituel, indépendant de toute religion précise ; il est coiffé d’un chapeau, fume des cigarettes indonésiennes, allume des bougies, décore ses instruments. Le film insère un autre type de performance, Island Song (1976), à mi-chemin entre le chant et le cri (la phrase I want to get out of here, inlassablement ressassée) sur le fond sonore du moteur pétaradant d’un scooter, opus angoissant qui a eu une influence sur l’installation de Bruce Naumann, Anthro/Socio (1992).

On voit le musicien passer du carillon au piano Bösendorfer, au synthétiseur, puis au double Borgato (piano customisé dont la partie basse est actionnée par un pédalier, comme un orgue), qu’il martèle, jouant avec ses doigts, ses poings, ses pieds, dans un rapport à l’instrument qu’il qualifie de « viscéral », à la recherche d’échos, d’harmoniques, de sons étirés à l’infini qui finissent par le plonger, lui et son public, en transe. Le « golden sound » dont il est en quête est un son continu, une alchimie de tous les sons, l’équivalent de la « note bleue » recherchée par les jazzmen.

Avec le déclin de la performance, des events, actions et autres happenings à la fin des années 70, Charlemagne Palestine connaît une traversée du désert qu’il évoque sans amertume ; retour à l’objet oblige, il expose des installations, avec ses peluches, dans des galeries, pendant quinze ans. Le film est discret sur cette période de sa vie et sur son activité de plasticien. Il finit par être « redécouvert » dans les années 90 par un nouveau public qui fait de lui son mentor : les jeunes sont séduits par ces rituels étranges. Un dernier extrait montre le musicien, en compagnie de Tony Conrad au violon (dans un concert donné au cinéma La Clef à Paris il y a quelques années), commentant ainsi : « Cela ne s’arrête jamais. Rendez-vous dans 30 ans »

Dans une dernière scène, le compositeur, devant la glace, essayant différents couvre-chefs, dresse avec humour ce qui ressemble à un bilan. Il se présente comme un Schlemihl, sorte d’idiot du stettl, ce qui est pour lui la meilleure façon de résister à l’autoglorification et à la nécrologie écrite de son vivant. Il se sent libre  comme il ne l’a jamais été  et confie que l’enjeu n’est pas la musique mais le Gesamtkunstwerk wagnérien, l’œuvre d’art totale, la Gestalt, « the whole thing », c’est-à-dire un ensemble dont il est un élément essentiel, avec sa virtuosité, son énergie inentamée, sa fantaisie.

Par petites touches, avec légèreté et avec un sens très sûr de la bonne distance, Anne Maregiano trace le portrait d’un musicien qui vaut, à coup sûr, le déplacement.

Nicole Gabriel « 

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